Publié le 09 Janvier

Homo Mimeticus

Voici une courte nouvelle en forme de dialogue écrite par un des lecteurs du site et qui nous est parvenue peu après la publication du conte theta. Son thème cadre pleinement avec la problématique prospective du site. Ce dialogue imaginaire se situe dans un futur plus ou moins proche du nôtre où la grande réinitialisation ne serait plus qu'un souvenir, et où un nouveau type d'homme lui aurait succcédé: l'Homo Mimeticus.

  • Mon cher Jason, comment définiriez-vous l’homme moderne ?
  • C’est pas gentil de me demander ça un vendredi après-midi, pile au moment où je m’apprêtais à prendre congé de l’inanité, pardon de l’humanité !
  • Désolé, c’était plus fort que moi. J’avais envie que vous piquiez ma curiosité. Vous avez déjà piqué 20 € à mon portefeuille en me forçant à acheter votre foutu bouquin... Vous vous rendez compte, un livre à l’ancienne, au format papier ! Allez faites-moi plaisir, et je vous resservirai de cette décoction de gingembre-citron qui m’a l’air de flatter votre palais. Parlez-moi de l’homme moderne. Qui est-il, pour vous ?
  • Soit ! Vous l’aurez voulu, je vais ouvrir les vannes... Vous venez de m’avoir avec cette histoire de palais, vous connaissez mon penchant légitimiste. Tout d’abord, je définirais l’homme moderne comme l’homo mimeticus, l’homme de la mimesis. Un clownesque clone qui ne créée plus rien et se contente de mimer, reproduire, copier, dupliquer. Il aime bien obéir aux règles du troupeau, règles qui sont autant de mantras pour se convaincre que la liberté et l’aventure sont les pires ennemis, mieux, ses ennemis personnels. Second point, pour lui tout est quantifiable. Tout s’achète, tout se vend, y compris les hommes, comme au bon vieux temps de l’esclavage. Nihil novi sub sole. Et si c’est gratuit, c’est ce que c’est toi le produit, disait-on à la période de gloire de Google. Qui plus est, les bienfaiteurs de l’humanité ou devrais-je dire de l’inane-IT savent vendre à perte en vue d’ultérieurs profits. On l’a bien vu avec le scandale des vaccins-injections. C’est que ces maîtres ès quantités, ces quantophrènes cliniques, n’évaluent pas pour évoluer, il évaluent pour dévaluer. On l’a vu aussi avec la monnaie numérique et avec le revenu universel de base.
  • J’aime bien vos digressions, mon ami, mais revenons-en à votre « Homo mimeticus ». En quoi est-il mimétique ? Vous avez surtout évoqué son instinct grégaire, mais entre suivre le troupeau et faire à l’identique, il y a une différence, non ?
  • Non, le suivisme du monde naturel mène à la réplication dans le monde du digital, artificiel. L’homo mimeticus a vendu son intériorité en tranches de data aux GAFAM pour mieux consacrer son temps à être interchangeable, anonyme, quelconque. Il cherche le semblable, l’homo normé. Remarquez que depuis quelques siècles déjà il appelait en France sa plus prestigieuse école l’Ecole Normale (Normale Sup pour faire plus classe). Les normaliens ont fini pas normaliser le monde. L’homme mimétique sniffe au quotidien son shoot de normalité en regardant la vie des autres dans les medias pendant que d’autres surveillent sa vie dans les data, avec son consentement bien sûr. Vous connaissez l’adage « Qui ne dit mot consent ». Remarquez que les deux actions s’appellent, et par conséquent que qui consent ne dit mot également. Pratique pour un pouvoir totalitaire qui n’aime rien mieux que le mutisme de ses administrés. Vous avez coché la case du consentement ? Vous n’avez plus à revenir dessus ! Et comme je le disais plus haut, l’homme nouveau, homo mimeticus, veut ressembler à n’importe qui. L’une de ses expressions favorites, diurnes ou nocturnes, est : « Je veux la même ! ». Il veut la même vie que n’importe qui. Il veut le même pain, les mêmes jeux, les mêmes plaisirs, les mêmes drogues, la même femme, le même enfant, le même chien. Il veut les mêmes pauses et les mêmes poses. Même quand il s’agit de rire, il ne le fait qu’à partir de memes, ces images répliquées et conformément drôles.
  • Mais quelle est sa mesure à votre « Homo mimeticus », s'il n'est qu'un miroir qu'est-ce qui engendre son reflet ?
  • Il n’ira jamais acheter un CD ou un livre qui ne lui aura pas été conseillé par un garant de l’ordre. C’est formellement déconseillé, lui a-t-on d’ailleurs souvent rappelé, via des notifications push du Ministère des Solidarités sur son mobile, qui veille sur l’idemité collective, ou sur Instadram. Plus besoin d’auto dafé dans le monde de l’homo mimeticus, l’abstinence intellectuelle suffit et ça évite des gaspillages d’énergie à détruire des ouvrages illicites (façon Fahrenheit 451). On ne peut pas reprocher à l’homo mimeticus d’être impoli, il n’y a pas plus poli, et même formaté que lui. La question est : formaté Mac (rond) ou Windows (carré) ? Je plaisante. Non, ce qui est bon pour lui c’est ce qui lui est permis, et rien d’autre. Même le défendu a fui ses rêves et ses cauchemars, à supposer qu’il en ait d’ailleurs encore. Pourquoi se révolter quand l’auge est pleine ( ?), se dit le chien de la fable de Lafontaine, devant le loup médusé. Ce qui est bon pour lui, c’est le bon pour un abonnement à Net-flic (films interactifs avec notation des acteurs en live), le bon pour un spectacle certifié. Son seul droit et son seul devoir, puisqu’ils se confondent, c’est de consommer. La COM de Macron pouvait se résumer ainsi : Consomme, Obéis, Meurs ! Et plus il visionne, plus ça lui rapporte de points sur son crédit social. Stakhanov n’a plus besoin de bêcher. Il lui suffit de visionner pour être bien vu ou plutôt mieux vu, car sa respectabilité est toujours suspendue à un fil, celui de son positionnement quotidien dans l’algorithme social, fluctuant par nature. Des conseillers SEO (Social Engineering Optimization) se tiennent toutefois à sa disposition, s’il fait partie de la classe Alpha, pour gagner en référencement social, avec de nouveaux crédits. Et comme il s’agit d’être bien vu, en 4K de préférence, la séance bi-quotidienne de contrôle par webcam est de mise, pour rassurer ses maîtres dont l’arsenal technologique dantesque a plus aiguisé qu’épuisé leur paranoïa. Que voulez-vous, les guillotineurs finissent souvent par se faire guillotiner ou s’entre guillotiner si l’on en croit l’Histoire, alors les Robespierre du moment prennent des précautions. Revenons à notre histoire de crédits : qu’il soit Alpha ou Beta, mince ou gros, littéralement, la seule chose à éviter pour l’homomimeticus, c’est d’être discrédité, c’est à dire, au sens post-moderne, de n’avoir plus de crédits. Je disais que cet homme, ce m’as-tu-vu par obligation, passe son temps à visionner. Et pas de risque qu’il ait des visions, rassurez-vous, le gender a beau être parfait, il n’est pas Jeanne d’Arc, il ne voit et ne croit que ce qu’il a vu à la télé. Si besoin, le CEC (catéchisme de l’église cathodique) le lui rappelle chaque dimanche matin lors des sermons du web conseiller, un bot masqué pour plus de neutralité. Son trip ? S’abonner à de nouvelles chaînes dont il n’entend plus le cliquetis métallique à force d’être asservi. On n’est jamais mieux asservi que par soi-même, télécommande à la main. Je voudrais terminer par ce point : l’homomimeticus est le roi de l’abonnement. Abonnement à vie, bien sûr, à moins d’une expresse éconduction (unilatérale) du Ministère des Solidarités et de l’Adhérence mentale. Abonnement à son logement, à Net-flic, mais aussi à l’eau (fluorée de préférence, avec une pincée de lithium), à l’électricité, à 360 music, triple abonnement Pfizer Premium (Covid, grippe et adénovirus), abonnement à l’air et abonnement à la marche (et son nouveau permis à 6 points). Il le sait : pas plus de 666 pas par jour, sinon c’est l’internement d’office. La santé, ça ne se discute pas, même si c’est le nom d’une prison. Ce subscriber, c’est à dire sous-scribe, est tellement abonné à tout qu’on le retrouverait même aux abonnés absents ! Je pense qu’il sera même spectateur de sa propre mort, dont il devrait connaître le jour et l’heure s’il ne rachète pas de crédits à son gouvernement.
  • C’est un portrait au vitriol que vous nous faites-là, Jason ! Vous ne lui trouvez quand même pas des qualités à notre homme contemporain ?
  • Pas un portrait au vitriol, mon cher ami, un portrait au formol ! Des qualités ? Justement... Notre sujet post-moderne est quand même un peu conservateur, il ne faut pas croire que sa seule métastase est le Progrès. Mais pas conservateur au sens de souverainiste, bien sûr. Il a depuis longtemps renoncé à sa souveraineté, qu’il a livrée gratis le jour où il a livré son corps aux politiques et aux labos, après l’avoir bradée aux GAFAM. Il est conservateur au sens alimentaire, au sens du PS, le Pacte de Stabilité. Il veut conserver sa durée de vie d’avant la grande réinitialisation, malgré son obsolescence programmée induite par celle-ci, comme l’androïde Roy Batty de Blade Runner, la revendication en moins. Sujet bien soumis, il ne vise plus une illusoire réunification de ses aspirations contradictoires. Il ne vise plus que sa propre réification : rejoindre la farandole ou plutôt le circuit fermé des objets connectés : le fameux Internet Of Things, qui est en réalité un Internet Of Thugs. Il ne lui suffit plus d’être un bon sujet, il veut aussi être un bon objet ! Thoreau, Tocqueville et La Boétie doivent s’en retourner dans leurs tombes, objectivement !
  • Quelle verve ! Dites, c’est le gingembre-citron qui vous fait un tel effet ou vous êtes plutôt un agité du bocal de nature ?
  • Disons que j’ai du mal à me mettre en mode off, mon cher, et que votre breuvage a réveillé les chevaux de la poiesis qui piaffaient en moi !
  • J’avoue que ce n’était pas désagréable d’entendre un discours si atypique et irrévérencieux. Mais finissons-en avec cet homo mimeticus que je vois prostré au Tribunal de votre analyse sociétale, pour ne pas dire cloué au pilori de votre ironie. S’il fallait résumer son principal vice, à ce fameux ou plutôt infamant homo mimeticus, ce serait lequel ?
  • L’envie, mon cher Watson ! L’envie !

« Jason et les algonautes » (Acte V, scène 1)

Par Marine GAULT